Le rapport de force s’inverse entre saisonniers et employeurs
Vu les besoins importants liés à l’été, les salariés défendent désormais leurs exigences. Les employeurs n’ont plus d’autre choix que de s’adapter.
Par Marjorie CessacFinalement, le bouche-à-oreille aura été la solution la plus efficace. A la dernière minute, Nadia Savonnière et son mari ont fini par trouver, fin juin, les saisonniers qui leur manquaient pour sauver leur été. Néanmoins, ces propriétaires d’un hôtel situé à Méréville (Meurthe-et-Moselle), au sud de Nancy, le reconnaissent : s’ils y sont parvenus, c’est grâce à leur réseau. « Il s’agit de trois étudiantes de 19 à 20 ans qui viennent toutes de notre village », raconte la patronne, qui dit ne même pas avoir regardé si elles avaient une quelconque formation.
Car 2023 ne ressemble en rien aux autres années. L’entreprise de sous-traitance à laquelle le couple s’adresse depuis plus de dix ans pour recruter des femmes de chambre n’avait cette fois aucun candidat à lui proposer. « Les personnes se présentent au rendez-vous, puis on ne les revoit plus après », explique Mme Savonnière. Autre fait inédit, alors que les recrues travaillaient de mai à septembre, cette année, elles ne sont disponibles que deux mois tout au plus. Avec, de surcroît, des horaires aménagés sur la période : « En plein été, les saisonniers prenaient habituellement un jour et deux demi-journées de repos par semaine. Cette année, leur semaine se limite à quatre jours de travail. »
Ces professionnels du tourisme sont loin d’être les seuls à avoir dû bouleverser leurs habitudes. Si la situation semble s’être améliorée par rapport à 2022 en matière de recrutement dans les campings − où quatre salariés sur cinq sont des saisonniers −, dans l’hôtellerie et la restauration, elle reste nettement plus contrastée. « Malgré les efforts qui ont été faits, 45 % de nos hôteliers ont plus de difficultés à recruter que l’an dernier », déplore Karim Soleilhavoup, directeur général du groupe Logis Hôtels, qui embauche 30 000 saisonniers chaque été.
La raison ? Elle tiendrait, selon lui, à des exigences toujours plus difficiles à satisfaire. « Avant, l’esprit, c’était de jouer collectif », assure-t-il, en se référant au partage des lieux d’habitation. Aujourd’hui, serveurs, réceptionnistes, barmen et autres employés veulent « cloisonner leur vie personnelle de leur travail », « avoir leur “home sweet home” », « pouvoir emmener leur animal domestique avec eux », « être nourris sur place » et, si possible, « ne pas travailler le soir », énumère-t-il, un brin désarçonné.
Inconvénients du travail en coupure
Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, le million de saisonniers embauchés chaque été dans l’Hexagone sait davantage se faire désirer. « Les professionnels du secteur subissent très clairement le contrecoup des mauvaises pratiques qui ont été menées ces dernières années, parfois jusqu’à la maltraitance », relève Stéphanie Dayan, secrétaire nationale CFDT-Services, pour qui « c’est un juste retour des choses ».
Au niveau des salaires, des négociations ont permis, en 2022, une revalorisation moyenne de 16 % de la grille pour les métiers des cafés, hôtels et restaurants, tandis que la hausse de 5 % qui a été négociée en juillet 2023 devrait être étendue à la rentrée. « Les saisonniers n’hésitent plus à faire valoir leurs droits », confirme Philippe Beaufort, secrétaire général de l’UD FO de l’Isère, bien que tout ne soit pas rose non plus. Par rapport à 2019, « les conditions salariales et de travail se sont améliorées, même si cela reste encore compliqué sur certains points », souligne-t-il. Parmi les dossiers sur la table figure la question de la réforme de l’assurance-chômage, qui concerne tout particulièrement ce public, et celle du logement.
Face à cette lame de fond, les employeurs n’ont plus d’autre choix que de s’adapter. Pour atténuer les inconvénients du travail en coupure, sujet amplement discuté dans la profession, « certains offrent la possibilité de travailler dix heures d’affilée sur quatre jours et d’effectuer un roulement », remarque Stéphanie Dayan. Il n’est d’ailleurs plus si rare de trouver des restaurants fermés deux jours par semaine, faute de personnel.
En définitive, « ceux qui indemnisent leurs salariés pour compenser cette coupure trouvent du monde », corrobore Jean-Virgile Crance, président du groupement national des chaînes hôtelières. D’après lui, « c’est une négociation globale dans laquelle chacun doit s’y retrouver », sachant que les salariés doivent aussi, à ses yeux, comprendre les impératifs de la profession, comme celui de travailler parfois le soir.
« Mériter les talents »
Certains groupes commencent par ailleurs à mettre au point des systèmes d’intéressement au chiffre d’affaires ou au résultat pour les retenir. C’est le cas de la Compagnie des Alpes (le Parc Astérix, le Futuroscope, plusieurs domaines skiables) qui, le 24 juillet, a fait part de son intention d’attribuer des actions gratuites à ses collaborateurs, dont 60 % sont des saisonniers. « Cela fait partie des attributs que l’on met en place pour mériter les talents et garder ceux que l’on a déjà », déclare Dominique Thillaud, directeur général du groupe. Pour disposer pleinement de ces actions, les salariés intéressés devront travailler au sein du groupe deux années supplémentaires aux mêmes conditions, soit cent vingt jours chaque année.
Dans certains cas, ces efforts ont permis une amélioration du recrutement, même si, globalement, les difficultés pour loger ces salariés, plus prégnantes qu’en 2022, constituent le principal frein. « C’est tout simplement dû au fait que la crise du logement s’accentue », s’exclame Jean-Virgile Crance. Au fil des années, des logements autrefois loués à ces employés disparaissent du marché, aspirés par l’accroissement du nombre de résidences secondaires ou de locations de meublés touristiques.
Dans ce contexte, chaque région tente tant bien que mal de trouver ses propres solutions. A l’été 2022, la Bretagne a ouvert deux internats de lycée, à Dinard (Ille-et-Vilaine) et à Lamballe (Côtes-d’Armor). « Nous poursuivons cette opération cet été, en en ouvrant deux nouveaux », l’un à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), l’autre à Dinan (Côtes-d’Armor), indique la région. En Nouvelle-Aquitaine, ce sont des chalets et des mobil-homes qui ont été déployés. Il n’en demeure pas moins que les capacités d’accueil sont loin de répondre à l’ensemble des besoins.
« C’est un pansement sur une jambe de bois », estime le député Inaki Echaniz (PS, Pyrénées-Atlantiques). Loger dans un internat quand on a 18 ans et que l’on fait sa première saison, pourquoi pas, mais tous les saisonniers n’ont pas ce profil-là. » Avec sa collègue Annaïg Le Meur (Renaissance, Finistère), il a déposé, en février, une proposition de loi pour réguler les meublés touristiques. Prévu initialement en juin, son examen aura finalement lieu en octobre. « C’est une première marche. Un des leviers à activer, même si cela ne résoudra pas tout », conclut-il.
Marjorie Cessac
De toute façon, les nouvelles générations c’est que des fainéants qui veulent plus rien faire et passer leurs journées devant les écrans /s
Pour ma part, j’bosse dans une grande boite, tous les ans on fait des chiffres bien meilleurs que les années précédentes, on nous explique qu’on a pas un rond pour nous augmenter et les actionnaires eux s’en mettent plein les poches. Résultat, tous les gens qui ont un minimum d’expérience (et donc quelque chose à proposer) se barrent chez la concurrence et nos RH ne font rien pour les retenir. Bah ouais, faudrait augmenter tous le monde. Maintenant ça commence à se sentir sur les projets qui prennent du retard parce que les débutants comme moi ne bossons pas assez bien et assez vite pour suivre la cadence. Du coup, on devient les fainéants à se plaindre…
Le coup des resto qui ferment deux jours par semaine, faute de personnel voulant travailler au même prix et même conditions qu’avant, ça ne serait un peu le pendant hôtelier de la shrinkflation ?
On ne répercute pas l’inflation aux consommateurs en montant les prix, mais en baissant les prestations.
Qu’ils en profitent. C’est le genre de situations que n’aime pas trop le pouvoir. Avec les attaques contre les droits des travailleurs qu’on observe, il n’est pas dit que cette situation perdure.
« Avant, l’esprit, c’était de jouer collectif »
Pfff, c’est typiquement le genre de conneries que dirait un patron, parce que c’est comme ça qu’il le voit.
Avant, travailler voulait dire un salaire qui voulait dire une meilleure situation sur le long terme, des projets de vie à construire, etc. Donc on pouvait y mettre du sien, travailler plus pour gagner plus (le soir, par exemple). Avec le mur qu’on a devant nous, le déni de nos élites et le fait que ton restau ou ton hôtel peut mettre la clef sous la porte d’une année sur l’autre, personne (et en particulier les jeunes) n’a envie de gâcher son temps dans un salariat qui n’offre aucun débouché autre que le salaire (« cool, je bosse pour un connard pour payer mon loyer à un autre connard sans aucune possibilité de devenir proprio, pendant que d’autres s’engraissent devant des tableaux excel »).
Si on veut que le travail redevienne une composante sociale importante, il faut que le collectif redevienne rémunérateur et porteur d’une amélioration matériel de la situation des individus à long terme, qu’ils puissent faire des projets de vie et avoir l’impression que le travail leur donne du contrôle sur leur vie.
Aujourd’hui, serveurs, réceptionnistes, barmen et autres employés veulent « cloisonner leur vie personnelle de leur travail », « avoir leur “home sweet home” », « pouvoir emmener leur animal domestique avec eux », « être nourris sur place » et, si possible, « ne pas travailler le soir », énumère-t-il, un brin désarçonné.
Ne pas le faire ça porte un nom, c’est de l’aliénation. Les jeunes n’ont plus envie de bosser pour quelqu’un, ils veulent bosser pour eux. Oui c’est triste, mais c’est le fruit de l’accaparement des richesses qui coupe toute perspective. Les petits patrons sont les victimes d’un idéal qui ne fonctionnent plus.